Avec BĒYĀH, Damso clôt une décennie de rap marquée par une écriture sans concession et une palette musicale en constante évolution. De Kinshasa à Bruxelles, du succès critique à son engagement pour la RDC, il signe un possible dernier album à son image : dense, intime et libre.
Un album, peut-être le dernier, pour venir finir en beauté une carrière d’envergure. Avec BĒYĀH, Damso compte marquer un ultime coup dans le rap game, avec un album attendu de longue date par sa fanbase, bâtie patiemment au fil des années. Car avant de remplir l’Accor Arena, Damso a connu l’exil et la galère.
Né à Kinshasa, William Kalubi Mwamba, de son vrai nom, fuit le Zaïre et la guerre avec sa famille pour s’installer en Belgique. Une situation que l’artiste raconte crûment dans ses textes, comme dans Graine de sablier (2016) : « les tirs de kalash m'empêchaient de rêver ». Quand il se lance dans le rap, ses parents, en désaccord avec ses ambitions, l’expulsent de chez eux.
Damso connaît la rue et des heures difficiles. Son choix finira par payer. Après une première mixtape, Salle d’attente (2014), son morceau Poséidon sur la compilation OKLM de Booba tape dans l’oreille du Duc, qui le signe sur son label 92i.
Son premier album, Batterie faible (2016), marque un tournant. Le natif de Kinshasa s’impose comme une figure incontournable de la nouvelle scène rap belge aux côtés d’Hamza et Shay. Suivent Ipséité (2017) et Lithopédion (2018), qui concluent l’un des triptyques les plus marquants du rap des années 2010. Le Belgo-Congolais y affirme son identité : productions léchées, ambiance sombre, et textes durs où il n’épargne personne, y compris lui-même.
Pressenti entre temps pour écrire l’hymne officiel de la Belgique pour la Coupe du Monde 2018, il est écarté à la suite d’accusations de sexisme. Depuis, Damso dit avoir lu beaucoup d’autrices féministes, comme Bell Hooks ou Virginie Despentes.
Après trois albums salués, une pluie de Disques de platine et de diamant, et une Victoire de la Musique, Damso prend ses distances avec Booba — non sans tensions. C’est en indépendant avec Trente-Quatre Centimes, sa propre structure nommée d’après les seules pièces qu’il avait en poche lorsqu’il dormait dehors, qu’il livre en 2019 QALF, un projet plus audacieux et intimiste. Une évolution qui préfigure la suite. En 2023, le rappeur annonce avoir réalisé son rêve en achetant un camping-car, pour y créer un studio et s’embarquer dans un tour du monde. Un changement de mode de vie, et une pause loin de l’industrie… finalement moins longue que prévu.
L’ultime album ?
La campagne de promotion de BĒYĀH commence dès 2022, lorsque Damso remplace ses photos de profil sur ses réseaux sociaux par une simple date : 30 mai 2025. Amoureux des énigmes, qu’il distille discrètement dans sa communication, Damso éclaircit finalement le mystère sur certains vinyles du projet QALF Live fin 2023. On y lit, gravé : « Bēyāh sera mon prochain album ». Finalement, l’album J’ai menti, référence directe à son annonce finalement mensongère, paraît en 2024. Le projet reçoit un accueil critique plus mitigé qu’à l’accoutumée, entachant légèrement une œuvre jusqu’ici jugée sans faute.
Il y a quelques semaines, Damso montait les marches de Cannes pour accompagner R.E.M: Épisode 00, court-métrage de science-fiction dystopique lié à la réflexion artistique autour de son nouvel album. Présenté en avant-première au Trianon quelques jours avant sa sortie, BĒYĀH s’impose finalement comme un projet à la hauteur de la promotion qui l’a entouré.
L’album apparaît comme une sorte de riche synthèse de la carrière de l’artiste à la palette éclectique. On y retrouve les ambiances sombres et crues qui ont forgé sa signature (« Impardonnable », « Frère »), des morceaux introspectifs, mélancoliques ou sentimentaux comme sur son duo avec la chanteuse Sara Ley, ou des titres plus dansants promis aux playlists de l’été (« Qui m’a demandé »).
Sur BĒYĀH, Damso ose moduler sa voix, et s’engage aussi dans des contrées jusqu’alors jamais explorées : il chante en espagnol sur « Ya Tengo Sentimientos », sur une production aux accents reggaeton, ou s’essaie aux rythmiques brésiliennes du baile funk avec « Pa Pa Paw ». Sur « Magic », il va jusqu’à intégrer une intelligence artificielle aux chœurs.
Avec « JCVDEMS » et ailleurs sur l’album, il revient sur sa terre natale (« je n'oublierai jamais la RDC »). Une fidélité à ses origines qui prolonge ses engagements passés : financement d’un orphelinat à Kinshasa, création de la fondation Vie sur nous contre l’exploitation minière, ou encore le morceau « Free Congo » avec Ninho et Gradur, dénonçant le conflit du M23. Fidèle à lui-même dans ses textes comme dans ses ambitions créatives, Damso laisse finalement entrevoir ses envies pour l’avenir avec BĒYĀH, ouvrant ses horizons, dans la vie comme dans la musique. « J’ai fini le format album, c’est le son qui m’intéresse », déclarait-il récemment. Damso aura, quoi qu’il advienne, eu le mérite d’offrir à ses fans une sortie à la hauteur de son parcours.
Damso BĒYĀH (Trente-Quatre Centimes) 2025 (RFI)
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