Les départs clandestins de pirogues depuis les côtes guinéennes, notamment à partir de la ville portuaire de Kamsar, connaissent une inquiétante recrudescence. En cause, le durcissement des contrôles migratoires au Maroc, en Mauritanie et au Sénégal,
qui a déplacé les routes vers la Guinée. Une traversée longue de dix jours et extrêmement périlleuse, qui a déjà coûté la vie à des milliers de migrants. Rien qu’en 2024, l’ONG espagnole Caminando Fronteras a recensé 10 457 morts dans l’Atlantique.
Selon Elhadj Mohamed Diallo, ancien exilé et aujourd’hui président de l’Organisation guinéenne de lutte contre la migration irrégulière, Kamsar est devenu un point stratégique en raison de son profil maritime. « La plupart des jeunes sont des pêcheurs qui maîtrisent parfaitement la mer et la conduite des pirogues », explique-t-il. Les premiers convois auraient été initiés par des pêcheurs locaux, avant que des réseaux de passeurs plus structurés ne s’impliquent. Depuis, plusieurs départs ont été signalés, certains stoppés par les autorités guinéennes, d’autres interceptés en Mauritanie.
La vague de départs a attiré l’attention jusqu’en Espagne. Après un naufrage ayant fait sept morts – dont deux enfants – des journalistes espagnols se sont rendus en Guinée pour enquêter et identifier des familles de disparus. Un collectif de proches est en cours de structuration, avec l’appui d’ONG locales et internationales. « Nous accompagnons les familles dans leur deuil, les démarches administratives et parfois le rapatriement des corps », précise Diallo à RFI
Le phénomène touche un public diversifié : jeunes de 17 à 35 ans, familles entières, étudiants, travailleurs, parfois même des intellectuels. Beaucoup économisent jusqu’à 15 millions de francs guinéens (environ 1 500 €) pour financer la traversée. Malgré les campagnes de sensibilisation sur les dangers du voyage et les discours officiels appelant les jeunes à rester pour « construire la nation », le désenchantement reste profond. « La majorité des jeunes n’ont plus confiance dans la République de Guinée », constate l’activiste.
Cette perte de repères explique la détermination à braver l’Atlantique, malgré les naufrages récurrents. « Pour beaucoup, rester ici, c’est déjà mourir. Alors, ils préfèrent tenter leur chance ailleurs », résume Diallo. Une tragédie humaine qui illustre la désespérance d’une jeunesse prête à tout pour trouver une vie meilleure, au prix de l’exil et parfois de la mort.
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